À l’époque, j’ai éliminé le gras et le sucre de ma vie (il y en a qui appelle ça « manger sainement », mais rappelons qu’éradiquer le gras et le sucre de tous ses repas, ça s’appelle un trouble alimentaire). Je vais au sport trois à quatre fois par semaine, la personne à qui je parle le plus c’est mon psy qui en bon lacanien ne fait que hocher la tête.
Je règle chaque mois mes dettes, je prends tous les free du monde, je bosse beaucoup et je me sens mieux. La séparation d’avec ma meilleure amie fait un nouveau tri, encore une fois, même quand il n’y a pas de camps, les gens en choisissent un. Mais je suis anesthésiée, je ne ressens que de l’amour pour mon fils. Le reste ne m’importe plus trop.
Attention, je suis anesthésiée de l’extérieur, mais je passe mon temps à imaginer des drop the mic où je réglerais mes comptes façon guerrière stylée, à la fois sage, et retord. En vrai, j'ai un seum 3000. J'aimerais tout raconter sur mes réseaux, mais, heureusement, grand-mère feuillage reprend le contrôle et je me défoule à la piscine.
Ma sœur et moi on s’appelle et on se dit que ça ira, pour l’une comme pour l’autre. S’il y a bien un truc que nous a appris notre mère, mis à part le trait d’eyeliner de compétition, c’est que la roue tourne.
« Seriez-vous intéressée pour échanger avec nous ? Votre profil nous intéresse beaucoup pour ce poste. »
Un mois auparavant j’avais reçu un mail d’un chasseur de têtes d’une énorme boîte de jeux vidéo. Il s’agissait d’un poste à responsabilité (création + gestion d’équipe) en CDI, mais je n’avais jamais travaillé pour cette industrie et je m’étais donc dit dans une logique qui transpire la confiance en soi « tu n’as pas les épaules sale conne ». Le mec me relançait donc cette fois par téléphone.
J’ai écouté ce que le « talent acquisition manager » avait à me dire sans conviction, mais j’ai accepté un entretien avec l’équipe en place. Deux semaines plus tôt, je m’étais lancé le défi de dire « oui » à tout ce qui me faisait sortir de ma zone de confort (sauf aux mecs), je n’avais rien à perdre.
Je passe donc un entretien d’embauche en distanciel, je suis détendue et super honnête parce qu’il n’y a pas d’enjeux. On rigole pendant l’entretien, j’ai le sentiment d’assurer et je réalise que mon parcours professionnel est très cohérent pour le poste recherché. Je n’ai jamais dirigé d’équipe mais je me sens les compétences pour le faire. Je ne sais pas d’où me vient cette assurance, mais c’est comme si une autre meuf, mieux, avait pris le contrôle pendant le rendez-vous.
Le mec me rappelle pour me dire qu’ils ont très envie d’une seconde interview.
Je me prends au jeu. Et pourquoi pas un travail salarié ? La sécurité de l’emploi, le super salaire, les dettes réglées. Je pourrais emmener Lucien en vacances. Et puis, je changerais de milieu, tout serait neuf. Je ne serais plus « Navie », l’Emifion, Insta seraient loin de cet endroit. Je pourrais mettre en pratique tout ce que j’esquisse en théorie avec le psy. Recul, pondération, dédramatisation.
L’attente entre le dernier entretien et la réponse a été de trois jours. Trois jours pendant lesquels j’ai rêvé. Cette opportunité avait sacrément l’allure d’une seconde chance, un reboot. Je n’avais qu’une envie : aller mieux. Et quand ça devient ton objectif principal dans la vie, c’est que tu ne vas déjà plus si mal.
« Vous pouvez commencer dans deux semaines ? »
Post sur Instagram le jour de la réponse. J’avais le sentiment qu’il fallait que je me souvienne de ce moment. J’étais LOIN de me douter.
Putain je viens de signer un CDI ! » Quand j’ai dit ça à ma mère, elle a eu un moment d’absence, je pense qu’elle a dû s’asseoir pour reprendre ses esprits. Si moi j’acceptais un CDI, ça veut dire que tout ce en quoi elle croyait pouvait être remis en question. « Bientôt tu vas me dire que PPDA n’est pas un homme bien et qu’il a violé des femmes c’est ça. » Oui, maman.
Mes amis free-lance m’ont regardé catastrophé « merde, on ne savait pas que ça allait aussi mal, désolés, j’espère pour toi que ce salariat sera temporaire ».
Je devais connaître trois salariés dans mon entourage, et encore en CDD. L’image que je me faisais de l’entreprise venait des séries. Machine à café, ASAP et « comme un lundi et toi ? ». J’allais « poser des RTT » (lol) et avoir des collègues. J’allais travailler et on me paierait pour ça, sans retard. Même que je ne devais pas bosser le soir ou le week-end. Par contre je devais rendre des comptes, aller au bureau et valider ma période d’essai.
En vrai tout ça m’excitait furieusement. Cette stabilité, cette sécurité me faisait plus frissonner que quand j’ai commencé à bosser en Télé (qui à la base fait fantasmer plus de gens.)
J’étais tellement heureuse que quand le gars m’a parlé de prime, d’intéressement, mais surtout de « tickets restaurant », j’ai fait la vague sur Pump The Jam.
(Je vous passe l’épisode « je mets quoi pour aller au travail », « il faut que je m’achète un mug tout neuf, et des beaux stylos, oh oui des beaux »)
J’ai donc débarqué dans la boîte, un 11 juillet. Sur le trajet ma sœur m’a appelée, je lui ai dit « c’est fou ce chemin est nouveau pour moi mais bientôt ce sera mon quotidien » et ma sœur m’a répondu « je suis sûre que tu vas rencontrer ton mec là-bas ».
Sorcière.
Toutefois, j’étais peut-être un newbie en corporatisme, mais je connaissais LA règle à respecter à la lettre : « no zob in jobs » (OK boomer). Non seulement j’étais toujours en jeûne amoureux, mais en plus, il était hors de question de gâcher ma nouvelle chance.
Je n’avais pas de passé amoureux ici, pas de pseudo, pas d’enfants, je pouvais être mystérieuse, être une machine au travail, nourrir les rumeurs les plus folles « vous avez vu la nouvelle Creative Director du studio, elle est tellement intrigante, elle ne dit rien sur elle… vous croyez qu’elle est mariée ? Je suis sûre qu’elle a un passé d’espionne… J’ai entendu dire qu’elle connaissait personnellement Beyoncé ».
Bref j’avais un plan en tête qui incluait : mystère et efficacité.
« Oh salut, bienvenue ! Tu es Navie non ? J’adore l’Emifion, mange avec nous ce midi ! »
Pendant quelques années j’ai animé un podcast avec donc ma feue BFF où on parlait de sexualité. On mettait en perspective les problèmes des gens avec notre propre expérience. C’est ainsi que je suis arrivée dans un open space, où, rapidement (jour 1, heure 2) on a su ce que j’avais fait avec des clémentines à l’âge de 4 ans.
Aurevoir mystère, espionnage et Beyoncé.
Toutefois, ça m’a permis d’être très très vite acceptée et invitée aux apéros.
J’ai rencontré mon équipe (que je devais faire grossir), puis je me suis assise à mon bureau.
J’ai entendu un mec dans mon dos parler anglais, il était en call, et riait avec son interlocuteur. Il a raccroché et a fait une blague à un mec en français à côté de lui. Puis il a repris le téléphone et s’est mis à parler en espagnol. L’eurovision, le gars. Je me suis retournée pour voir de plus près cet étrange suppôt de l’ONU (Qui parle trois langues en moins de 5 minutes ?) mais je n’ai vu que des cheveux noirs, épais et ondulés.
Ma collègue m’a dit sur le ton de la confidence « moi quand on parle espagnol ça m’excite », je me suis dit que je ne serais pas trop perdue dans ce taf, même si j’ai trouvé cet aveu embarrassant sur le coup.
Plus tard dans la journée, les cheveux noirs, épais et ondulés se sont levés, ma collègue qui aimait aussi travailler pieds nus (embarrassant bis) m’a introduite à l’auberge espagnole en flirtant avec lui :
« Tiens Renaud je te présente Virginie la nouvelle Creative Director ».
Et là.
…
Bah là ça fait 7636 mots, c’est trop. Pardon. Je reprends vite.
Ralalala trop envie de savoir la suite !!!