De toute ma vie, je n’ai jamais eu de coup de foudre. Je n’ai jamais ressenti de picotements dans les orteils, de pouls qui s’accélère, de bouche qui s’assèche, de mains moites (dégueu), de papillons dans le ventre (immonde image, immonde), de tête qui tourne, de gens au ralenti… (l’amour at first sight ressemble quand même vachement à une gastro). Évidemment, j’ai déjà trouvé des gars BG, de loin, j’ai déjà ressenti le frisson en frôlant à un inconnu tout en me disant « aucun souci pour lui rouler une pelle sur la piste », mais alors, pour que mon cœur s’emballe j’ai beaucoup trop de barrières ancrées. Quelles sont ses positions politiques, comprend-il l’humour, est-il malin, est-il féministe, aimera-t-il mon garçon (mais pas au sens Morandini du terme) ? Non parce qu’avant d’avoir toutes ces réponses, niquez-vous les papillons. Donc quand j’ai vu Renaud… bah rien. J’ai salué un mec qui faisait très jeune, il était très souriant, il m’a dit bonjour. J’ai pensé « nice hair », je me suis demandé pourquoi il parlait aussi bien toutes ces langues et point.
Deux semaines après ce corporate bonjour, on était devenu incollable. Coup de foudre amical dès notre première clope partagée dans la cour du building. On a parlé en vrac des Hanson, de l’Argentine, de mon podcast qu’il n’allait pas tarder à écouter frénétiquement, de ses origines vietnamiennes, de notre passion pour les Dinosaurus (pas au lait please)… Et depuis nous n’avons jamais cessé de parler. Avec le recul, j’ai l’impression que tout est arrivé lentement, que cette période a duré un an. Alors que tout s’est joué en deux mois. Cette distorsion du temps me terrifie. Si quand on est bien accompagné, ça passe très vite, alors je vais donc mourir demain. Super.
On prenait toutes nos pauses ensemble, on s’envoyait de la musique sur Skype, des refs de vidéos à voir, de podcast à écouter, on déjeunait tous et toutes ensemble, on formait avec plusieurs collègues une grande bande très sympa qui terminait régulièrement au bar du coin. Quand je n’avais pas Lulu, je faisais souvent la fermeture de chez Momo, avec Renaud. Nos innombrables fous rires avaient le goût de ti’punch et il passait son temps à me rappeler que j’étais vieille, moi que c’était un petit con, bref, l’amour. À cette époque j’écris à ma sœur « j’ai rencontré un mec au taff, ça aurait pu être notre copain dans la cour de récré. Je l’adore. » Et je le pensais, je vivais une amitié sincère, une grande, une nouvelle. Il n’y avait aucune ambiguïté, aucun désir, aucun jeu de séduction de ma part ni de la sienne, nous avions une amitié très saine. D’une part, parce que je traversais une phase jouissive de ma vie sans mec. J’étais fière de mon poste, fière de m’attirer la sympathie de nouvelle personne, fière de me débrouiller seule, financièrement, et de rembourser toutes les personnes qui m’avaient aidée. Je continuais d’être chelou avec la nourriture, et de faire du sport un peu trop intensivement, mais je dormais beaucoup mieux. Je riais tellement, c’était si bon de revoir la lumière. Mon amitié toute jeune avec Renaud c’était un cadeau.
De son côté, Renaud était marié depuis quelques années, et même s’il traversait une phase compliquée avec sa femme qui l’avait quitté, quelques mois auparavant, ils s’offraient tous les deux une seconde chance avec l’emménagement dans un nouvel appart.
DISCLAIMER: il ne s’agit pas d’une histoire d’amour avec un homme marié. Personne n’a trompé personne. Je vous promets.
Jamais on ne se faisait de compliment sur notre physique ou même tout court, jamais on ne flirtait, même ivres, même fatigués, jamais. Et jamais je n’y pensais comme ça.
Il avait 29 ans (lol), il était marié, j’avais 36 ans, j’étais mère célibataire, et mon dernier mec m’avait pissé dessus intentionnellement, mais sans mon consentement… donc bon.
Parfois je pensais au futur homme de ma vie. J’avais peu de critères, mais je voulais qu’il ait mon âge ou plus vieux, et qu’il ait des enfants. Je pensais à Lucien, je me disais « je vais construire une famille recomposée ». Je parlais peu à Renaud de mes histoires de mecs, on n’avait pas le temps, il fallait qu’on élise la meilleure chanson de Laurent Voulzy.
Courant août, on a commencé à s’écrire, il est parti pour le boulot à Shanghai, moi chez mes parents en vacances, on trouvait toujours des excuses pour s’envoyer des trucs. Bien sûr nos collègues nous regardaient étonnés par cette étrange amitié (« quoi, un renard et un chien ? »). Des paris se faisaient dans notre dos, mais à ce moment-là on était à mille lieues de tout ça.
Lucien est venu au bureau un jour où Baptiste ne pouvait pas le garder. Moi je faisais passer des entretiens d’embauches alors que Renaud a géré une heure et demie. Il lui a prêté son coussin péteur… Je vous laisse imaginer les points de respects qu’il a obtenus. En sortant Lucien m’a dit, cette phrase qu’encore aujourd’hui, je trouve dingue :
« Renaud c’est ton copain ? Moi je pense que tu devrais l’épouser Renaud. »
Le 13 septembre est arrivé. Le jour de la sortie de ma BD « Moi en double » chez Delcourt, mais aussi ma première (et dernière fois) sur scène. En scène, Simone m’avait défiée de monter sur les planches pour un truc hybride, mi-blague au micro, mi chialade, mi-témoignage, re mi-blague.
Dans la salle blindée de proches, il y avait ma sœur, Navo, Valentine, bref, la famille… Et Renaud. Il était le seul du bureau convié, parce qu’il était le seul devant qui je n’étais pas gênée par cette mise à nue que je m’apprêtais à offrir.
Je suis montée sur scène, j’ai fait mon truc d’une heure, à la fin j’ai remercié tout le monde, et lui, ma « sœur jumelle ».
En sortant du théâtre, ma sœur m’a chopé par le bras et elle m’a limite engueulé
Lolo : Euh c’est lui Renaud, dont tu me parles depuis quelques semaines ?!
Moi : Oui
Lolo : Putain, mais tu ne m’avais pas dit qu’il était super beau !
Moi : Ah. Ouais. Je ne sais pas. Ouais il plaît.
Elle lui a fait deux ou trois blagues. Et moi, j’ai remercié tout le monde et je suis allée le voir lui. Il m’a présenté sa femme, à peu près le sosie de Lillie Collins. Et je les ai embarqués avec moi pour des coups. Comme d’hab Renaud et moi on s’est mis en mode “duo”, sa femme était avec une copine et elle est partie plus tôt. Ce soir-là, Renaud m’a fait mon premier compliment “tu étais super sur scène. J’étais tellement stressé et à la fin j’étais super fier.”
Je suis rentrée chez moi le cœur rempli de l’amour reçu sur scène, un bouquet de fleurs géant… Et une petite graine plantée. Un truc. Un truc flou. Un truc.
Ce week-end-là, Renaud ne m’a pas contacté. Pas son genre. Le dimanche soir, je lui ai envoyé un texto. Le prétexte : j’avais trouvé un cadeau pour lui. Il m’a dit qu’il venait de passer le week-end avec moi, puisqu’il avait écouté tout ce que j’avais fait. Lui aussi avait un cadeau d’anniversaire en retard pour moi.
Le lundi, je dépose mon cadeau sur son bureau. Un vinyle de Joe Dassin. Il arrive et me dépose son cadeau… des vinyles :
William Sheller, Vieux Rock’n’roll,
Cœur Grenadine, Laurent Voulzy
Besoin de rien envie de toi, Peter et Sloane
Coup de soleil, Richard Cocciante
Mise au point, Jacky Quartz
On a rigolé, on s’était fait les mêmes cadeaux… Puis une collègue m’a dit quand il est parti : “Euh, t’as vu ces titres, lu à la suite, on dirait une déclaration d’amour.”
J’ai décortiqué avec ma sœur. Navo m’a dit “bah je te le dis direct, ton collègue là,
Renaud, il est amoureux de toi, ça se voit.”
Et moi je n’y croyais pas une seconde. Il est parti à Londres, on s’est écrit, toute la semaine, c’était comme d’hab avec cette graine en plus de mon côté.
Le vendredi soir arrive. Lucien est chez son papa. On se barre tous boire des coups chez Momo. Renaud est à côté de moi, on rigole, on boit. On parle d’amour, le truc qui ne nous arrivait jamais. Je lui dis que j’aimerais bien avoir quelqu’un de spécial à mes côtés. Tous les gens sur cette terrasse sont de trop, alors on leur parle à peine. Nous, on rit. On rit parce que le rhum est sûrement coupé à l’essence, on rit, parce que Momo compte jamais ce qu’on prend, mais qu’à la fin, ça se trouve il nous met des cartouches, on rit parce que nos collègues parlent de taf, et nous on s’en fout tellement des jeux vidéo à ce moment-là. ON est tous seuls, avant de l’être vraiment. À tel point que Momo nous propose de fermer, mais de rester à l’intérieur, pour un dernier verre, une dernière clope.
Il faut se figurer un bar de quartier, avec des habitués, pas un bar fancy. Un bar avec une télé allumée, et Sardou qui passe, un bar avec le comptoir qui colle, et des voisins. Tout est rangé, sauf deux chaises, pour nous, au milieu de la salle. Je fais une blague. Je ne me souviens plus de la blague, mais des yeux qu’il a faits alors que je riais.
Il a dit “Tu fais chier”
Il a dit “Tu fais chier parce que je suis marié”
Il a dit “Tu fais chier parce que j’aime plus les week-ends depuis que je te connais.”
Et là, ma gorge s’est serrée, ma tête a tourné, des picotements ont réveillé mes orteils, mes mains sont devenues moites, et les papillons se sont affolés dans mon ventre, j’ai tout vu au ralenti.
Une gastro.
J’adore ta plume! Merci pour le partage de cette si belle rencontre!
🥲 j'aime tellement les histoires d'amour et celle-ci est si bien raconteur