Je suis restée hébétée pendant quelques secondes. Je m’attendais à tout sauf à ça. Quand on a roulé sa bosse comme une vieille routarde de l’amour (= trop de mecs, trop de walk of shame, trop de désillusions). On sait que la vie, elle donne des citrons et pas des cerises joufflues et confites sans noyau. Dans Dawson, Pacey arrête la voiture pour dire à Joey que putain il l’aime. Dans la vie, il lui aurait dit « « Par contre, je ne veux pas qu’on aille trop vite, du coup, on ne désinstalle pas Tinder, comme ça, on voit, on est libres. Mais franchement, toi je t’aime bien, je te réserverai mes deuxièmes parties de samedis soir ».
Donc je regarde Renaud, la poitrine sous speed. Et il enchaîne ce monologue que je connais par cœur tant j’ai répété cette scène dans ma tête, et même avec lui, depuis.
« Je me décide à te le dire, parce que je sais que, même si c’est pas réciproque, tu ne seras pas chelou avec moi au bureau. Et qu’on pourra toujours rester amis. Mais franchement, il fallait que je te le dise. Je pense tout le temps à toi. »
J’ai souri si fort que ça m’a piqué le nez. Quand l’émotion se mêle à la joie, quand tout s’aligne devant moi et prend sens, j’ai envie de pleurer. J’ai regardé ses grands yeux noirs brillants (l’alcool) qui respirent la gentillesse, ses cheveux bouclés en vrac, son sourire qui laisse une trace chez chaque personne qui le rencontre. Je l’ai trouvé beau, je l’ai enfin vu et j’ai su.
« Allez, on ferme les amoureux ! »
Ça, c’est Momo qui vient de faire exploser notre bulle au milieu des chaises et tables retournées. Lumière blafarde, sol qui colle. On se sourit toujours. Renaud fait la liste de ce qu’on a bu, Momo donne un chiffre un peu au pif, il paie, on se retrouve dehors et on marche comme deux imbéciles heureux.
« Ne m’attends pas. Je ne te demande rien. Je voulais juste te le dire et j’imagine que ton sourire, ça veut dire que c’est réciproque. Maintenant j’ai des choses à régler, avant que ça soit possible… » (Je vous ai dit qu’il était prod ? Le gars avait un agenda pour ce projet.)
On s’assoit sur une rambarde et je prends enfin la parole.
« Je ne pensais pas que je te plaisais. Et je te promets que mon amitié était sincère, et pas de la drague déguisée. Si tu savais comme je me sens heureuse là tout de suite. Depuis notre première conversation, je t’adore tellement. Tu es si drôle, putain, tu me fais rire tous les jours. J’adore que tu sois un vieux râleur dans un corps de gamin. Tu es intelligent, j’aime tant que tu parles si bien espagnol et anglais, que tu aies eu mille vies. J’aime ta gentillesse et ta droiture. Tu es merveilleux. »
C’est en entendant ce dernier mot que Renaud a vacillé et s’est mis… à vomir sur le mur derrière nous. Partout. Entre deux régurgitations, il disait.
« Je suis désolé putain, je sais pas si c’est l’émotion ou l’alcool ou les deux. »
J’ai explosé de rire en regardant le ciel sans étoiles. Je me souviens d’avoir pensé que dans le film de ma vie, ça ne pouvait pas se dérouler autrement. C’était bien trop intense, sucré et joli. Il fallait deux ou trois galettes sur des murs tagués à Montreuil pour me faire redescendre de mon statut d’héroïne de Rom’ Com.
Après le ravalement de la façade de la rue de Cuvier, Renaud était à nouveau opérationnel, et on a décidé de rejoindre la capitale pour terminer dans un bar qui ne ferme jamais. Il était deux heures. Nos mains se sont rencontrées dans un balai érotique à peine soutenable (Arte la nuit).
Au bar nous avons entamé un MAXI debrief. Il faut savoir que dans la vie, le moment où je rentre avec mon mari d’une soirée, d’un évènement c’est celui que je préfère. On adore refaire le match, se donner nos impressions, nos analyses. On a donc repassé le film des deux derniers mois au ralenti. Et on a vécu la même chose : pas d’attirance au début, énorme coup de foudre amical, besoin irrépressible de traîner avec l’autre, de parler avec, qu’il y ait des gens autour ou pas. Et puis, pour lui, il y a eu ce soir sur scène. Je ne peux pas me mettre à sa place pour vous le raconter, mais il m’a dit que ce jour-là il a eu une « épiphanie ». Il s’est posé des questions, et le week-end sans nouvelles c’était un test pour voir s’il pouvait se passer de contact avec moi pendant deux jours.
Pour terminer, il a cru que je lui tendais des perches (I swear by the moon and the sky, zéro perche de mon Côté) et ça lui avait donné du courage pour se lancer ce soir.
Et l’avenir dans tout ça ? On a parlé de Lucien, que c’était un rôle à investir et une sacrée responsabilité. On a parlé de son mariage qui terminait. Il savait qu’il allait traverser un gros conflit. J’ai été franche, qu’avant de pouvoir partir avec lui au Japon, j’avais des casseroles à jeter. On a aussi fantasmé sur notre future. C’était à la fois naturel et très curieux pour moi, je me sentais un peu plus timide, il était très beau, je n’avais jamais calculé avant (I swear I’ll be there).
La suite est tellement cinématographique que je dois vous prévenir : ceci est arrivé exactement comme ça, j’ai un témoin (mon mari). Souvent, je me suis demandé pourquoi cette nuit ressemblait beaucoup à une comédie romantique, puis je me souvenais que nous (lui et moi) étions aux commandes. Elle a ressemblé à ça, parce qu’on l’a voulu comme ça. Parce que l’un de ses films préférés c’est « About Time », et que j’ai tout appris grâce à Barbara Streisand dans « The mirror has two faces»… forcément.
Sur les coups de 5 h, nous avons entamé une longue marche dans Paris (quand le bar qui ne ferme jamais a fermé pour l’entretien [de 6 à 7 h]). On s’est naturellement mis en route pour qu’il me dépose chez moi avant de rentrer chez lui. Au lieu de marcher, je peux vous dire qu’on volait à quelques centimètres du sol. Tout était joyeux, doux. Quand on est arrivé en bas de chez moi, on s’est pris dans les bras. On n’allait pas se faire la bise, mais on s’était mis d’accord sur le fait qu’il ne se passerait rien tant qu’il était encore engagé. Quand je dis « on », c’est lui à 100 % parce que je ne connais personne de plus carré et droit.
Dans ses bras, je me suis laissée aller à croire que nous, c’était possible. Mon cœur se consumait d’amour, alors que ce matin encore on se chambrait sur nos âges. Puis, sagement, il m’a murmuré dans les cheveux « il faut que j’y aille ». Je l’ai quitté avec l’entrain de celle qui doit sortir du lit le 1er novembre.
J’ai poussé la grille, puis je l’ai refermée derrière moi. Je me suis accrochée aux larges barreaux pour y glisser ma tête et le regarder partir vers le métro.
Il s’est retourné d’un coup, il m’a regardé, il a couru.
Arrivé à ma hauteur, il n’a rien dit.
Et à travers les barreaux, il a pris mon visage et il m’a embrassé.
Bam.
Un baiser merveilleux et surréaliste. J’embrassais Renaud là, à travers la grille de mon immeuble, dans l’aube du matin parisien, sous le son des voitures-balais qui nettoient les trottoirs.
Il s’est reculé. C’était allé beaucoup trop loin déjà, il fallait qu’il rentre. Cette fois-ci, il a filé.
J’ai monté mes quatre étages (by the way j’étais en talons toute la soirée, sans me plaindre une seule fois, une performance qui devrait être applaudie) et je me suis affalée sur mon lit très très très heureuse. Bien sûr, la routarde de l’amour m’a rappelé qu’il allait rentrer, retrouver sa sublime femme, dessoûler, repenser à ma situation familiale, financière et potentiellement me rappeler en me disant « bon… en fait… »
Mais j’étais prête et j’étais OK avec ça parce que souffrir, pour avoir vécu ça, ça en valait la peine. Cette soirée a été un cadeau de la vie. Je savais que je m’en souviendrais pour toujours, que je la raconterais, encore et encore et encore. Je repassais les mots, les regards et les soupirs. Le vomi, évidemment, l’interruption de Momo. Et ce « Tu fais chier », répété, comme un slam. Je voulais ne rien oublier. J’ai très peu dormi, mais avec le sourire.
J’ai été réveillé par un message de Renaud qui me disait qu’ils s’étaient séparés ce matin, qu’il allait prendre des affaires pour dormir chez sa sœur et qu’il avait hâte de me voir.
Le 21 septembre 2018 l’été est mort pour laisser place au plus bel automne de ma vie. Et tout s’est très vite enchaîné. On est parti en road trip en Belgique pour aller écouter Voulzy chanter dans une église (rock’n’roll baby), on a filé à Saint-Malo pour le festival de BD dans lequel je dédicaçais. On s’est outé au bureau (spoiler, personne n’est tombé de sa chaise). Je suis tombée enceinte trop tôt, donc on a vécu notre premier moment difficile. On s’est présenté nos familles et nos amis, on a fait l’amour comme des ados, on a affronté ensemble des grosses tempêtes, on a vécu à trois dans mon appart minuscule de meuf qui remboursait son passé, on a passé des dimanches à binger, des nuits à se faire écouter de la musique, on a parlé bébé (enfin IL a parlé bébé au bout de deux jours), on s’est envolé au Maroc, on a mangé des fruits de mer à Arcachon (c’est devenu un pèlerinage)… on a trouvé un trop bel appart et comme tout le monde on a « affronté » une pandémie (je mets des guillemets parce que dans notre cas, on n’a souffert que par empathie pour ceux qui l’affrontaient réellement. Notre vie se résumait à nous aimer et à regarder des films), puis je suis tombée enceinte, puis Renaud m’a offert Elvis, puis on a déménagé pour encore plus grand, puis on a eu Nino, puis… bon la vie.
Il y a des grands moments de stress, des moments qui font peur, des moments de mou… Mais jamais de doutes entre nous. Au moment où, le lundi 24 septembre 2018, après une avant-première à laquelle j’étais invitée, dans l’oreille, il m’a dit « je veux un enfant avec toi », j’ai su qu’on était parti pour la vie, la vraie.
La vie avec cet incroyable être humain qui a fini par vieillir tandis que je ne fais que rajeunir est aussi jolie que banale. D’une banalité qui pourrait donner envie aux esprits libres de se pendre. La journée, on télétravaille la plupart du temps, et on câline notre chien. Tous les deux sous nos casques, on s’envoie deux ou trois vannes, mais la journée se déroule dans un calme olympien. Puis vient le tunnel, de 18 h à 21 h, les devoirs, le bain, le repas, les dents. « Pourquoi on mange ça, j’aime paaaaas. » On court dans tous les sens parce Nino est un diable de Tasmani qui approche de ses deux ans et Lucien sait comme personne choisir son moment pour « oups je sais plus où est mon pass Navigo. » Quand les deux sont couchés, que le chien est promené, la cuisine propre on se pose sur notre canap pour debrief. On continue de débriefer sur tout, l’état du monde, les films et séries qu’on voit, ce que me raconte ma psy, nos sœurs, les amis qui restent fidèles, le comportement des enfants, le dernier texto de notre voisin, notre avenir. Puis on mate un film, une série. Franchement, ça va en déprimer plus d’un. e de lire ça. Mais je vous promets qu’on ne subit pas ce quotidien, on l’adore et je remercie qui de droit (nous) pour cette vie.
Ma vie avec le gars derrière moi au bureau.
Alors que j’écrivais cette phrase, il est venu m’embrasser en me disant « j’ai une mission à terminer, et j’ai trop hâte de lire ensuite ». La mission c’est God of War. J’ai une chance monstrueuse, mais finalement, lui aussi.
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Mon amour. Tu as été le premier abonné de ma Newsletter et tu es le premier qui lit mes textes. Je t’ai déjà dit oui devant un maire, je t’ai déjà dit « je t’aime » en pleurant alors qu’on sortait un petit être humain de mon corps, alors je ne vois pas ce que je peux faire de plus mon amour, mais merci d’avoir osé me dire « tu fais chier », c’est le plus beau cadeau qu’on m’ait fait.
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Dîtes : “Tu fais chier”. Ça change la vie.
Tellement émouvant ! Longue vie à votre amour si précieux
Je crois que je suis amoureuse de votre rencontre! J'ai lu ces quatre postes comme j'aurais pu ne pas décrocher d'une rom com du genre nuit blanche à Seattle. J'ai sourie, beaucoup, ressentie de folles émotions et surtout vu au loin cette fin idyllique!
Merci pour ce partage de vie, ce tourbillon d'émotions, pour cette superbe plume et que votre chemin soit long!