En 2001, je vivais seule dans le vingtième arrondissement de Paris. J’étudiais l’Histoire à la Sorbonne, j’étais pionne dans un bahut avec des lycéens bien relous (parfois plus vieux que moi). Je portais des pantalons de costume La City et des talons à bouts pointus… bref, j’avais trop l’impression d’être une daronne avec mon gloss moka et mes sourcils trop épilés.
Avec le recul, j’étais à la Daronnie, ce que le Babybell est aux produits du terroir. J’avais adopté une chatte pour faire plaisir à quelqu’un à qui je voulais plaire. Cette chatte, Sissi, était tarée, elle se jetait sur moi régulièrement pour tenter de m’éventrer et avait élu domicile dans le salon (pièce dans laquelle je n’entrais plus qu’en manteau épais pour la nourrir sans jamais la regarder dans les yeux.)
Quand j’étais en retard je prenais un Taxi parce que, pardon, mais ça sert à quoi un découvert autorisé ? Ma plus grande preuve d’assurance et de maturité, résidait dans le fait que je dormais avec un couteau à pain sous l’oreiller au cas où (quelqu’un rentrait par effraction en pleine nuit un pain de campagne à la main, je ne sais pas).
Un soir, alors que je traînais sur Caramail, dans l’espoir de rencontrer l’homme de ma vie ( j’étais célibattante depuis 8 minutes), une fenêtre s’est ouverte pour m’indiquer qu’un « « homme » souhaitait chatter avec moi en privé.
« Sagewen »
A : 18 ans
S : Masculin
V : Stains.
Je me souviendrais à vie de sa première phrase.
« Sagewen : Tu dis dans ta bio “je ne suis pas mauche” dis-moi que tu l’as fait exprès ?! »
Paniquée je vérifie ma bio et découvre avec stupeur que j’avais bien écrit « mauche » au lieu de « moche ». J’étais à deux doigts de me couper les veines avec mon couteau à pain ou pire, d’ouvrir la porte du salon pour provoquer Sissi. Mais j’ai fait une pirouette qui l’a fait rire (je me souviens plus mais ça devait être assez balèze pour lui faire oublier ma faute. Puis il m’a fait rire, beaucoup, puis moi, puis lui, puis on s’appelle, puis on raccroche jamais d’accord ?
J’ai une image très précise de moi, au pied de mon lit, m’apercevant que le soleil se lève, tournant les ressorts de mon téléphone fixe émerveillée par cette conversation. Il avait un an de moins que moi, était d’origine sicilienne, il vivait en banlieue dans une ville inconnue avec son frère et sa mère, dans une cité HLM. Il était très cultivé, plutôt très à gauche, sensible, sociable, il faisait du rap, il écrivait et il avait des amitiés fortes depuis le primaire. Il avait quitté l’école à 16 ans, parce que c’était plus obligatoire pourtant il était plus malin que tous les sorbonnards que je fréquentais. Le gars avait arrêté l’école en seconde, il avait décidé qu’il ferait sans le Bac, normal, et ses parents ne l’avaient même pas engueulé. Je faisais la meuf qui vivait seule et qui était libre, mais lui, ce jour-là, m’a sans le savoir, ouvert la voie du « fais-toi confiance, fais les choix qui te conviennent et tout se passera bien. » Mon cœur battait la chamade et en raccrochant je riais encore les joues en feu. Toute la journée j’ai refait en boucle notre conversation, et le soir, on s’est évidemment rappelé…
***
C’est le début d’une très longue histoire avec des twists, des larmes, de l’amour fou, un chien, des fiançailles, de la vaisselle cassée, une trahison, un Pacs, un compromis de vente annulé, des ruptures, les urgences, des fous rires, une solidarité folle, un amour inconditionnel, une amitié éternelle…
Dimanche 19 février, il aura 40 ans. Je me suis longtemps demandé ce qui lui ferait plaisir, lui qui s’en fout, qui achète ce qui lui fait envie et qui a très peu de besoins. Puis je me suis rappelé qu’il n’a pas de mémoire et que ça, moi, j’en ai beaucoup. Je vais lui/vous raconter notre histoire parce qu’en 2001 sur Caramail, je cherchais l’homme de ma vie, j’ignorais qu’il y en aurait plusieurs, mais je l’ai trouvé.