En entrant dans le monde de Navo, j’ai dû apprendre une nouvelle langue. Elle n’était pas commune aux jeunes de son quartier, mais uniquement à son clan, composé d’une quinzaine de personnes dont le noyau central était Kheiron, Ruthlyn (vrai prénom qui claque). Il y avait Nadia, Ravome, Cem, Eclipse, Feti et bien d’autres, mais je ne peux pas être le disque dur de la Seine Saint-Denis. Leur vocabulaire était le fruit d’années de vannes, d’anecdotes, de private joke, de contractions.
Je n’avais pas les codes. Ils n’allaient pas prendre de cafés en terrasses, ils ne fumaient pas des clopes en faisant genre ils comprenaient le monde, ils ne buvaient pas de vin à table, ils ne vivaient pas en coloc et ne descendaient pas dans leurs familles pour les fêtes.
Ils passaient leur temps à se voir, les uns chez les autres, à écrire des textes de rap et à jouer. Une soirée typique consistait à débarquer chez quelqu’un, enlever ses chaussures à l’entrée et jouer toute la nuit à Risk ou au Loup en buvant de l’Ice tea jusqu’à 6 h du mat.
Ils m’intimidaient tous beaucoup. J’avais peur de confirmer les clichés qu’ils se faisaient sur les Parisiens alors qu’eux détruisaient ceux que j’avais sur « les jeunes de banlieue ». Deux ans avant je m’étais mobilisée pour faire barrage au FN (comme 80 % de la France), mais c’était une posture, car je ne passais pas le périph, jamais… Avant Navo. Bref ses potes c’était des flèches sorties du circuit scolaire qui ne voulaient pas d’eux. Ils riaient, vannaient, rebondissaient, le tout dans une culture show off de rap. Moi j’apprenais et je suis très vite devenue « Navie ».
*Le saviez-vous, en langue d’AV (?) Virginie devient Virginavie et donc Navie (Bruno > Brunavo > Navo)*
Au bout de 8 minutes, j’ai déménagé pour partir vivre à Stains (?!) dans une cité vraiment pas très chaleureuse au premier abord (ni aux mille suivants). Mais putain qu’est ce que j’étais heureuse. Même si c’était loiiiin de Paris, même si ce n’était pas ouf de se promener seule la nuit pour aller prendre un bus, même si on vivait avec sa mère et son frère… au contraire.
Ces années-là m’ont transformée. Si j’étais déjà amoureuse de Navo, rencontrer sa mère me l’a rendu encore plus merveilleux. « M » m’a ouvert son foyer, son cœur et j’ai passé des soirées à fumer des clopes menthol dans son salon en refaisant le monde. Elle racontait tout comme personne, les années 70 du vingtième arrondissement, son mariage furtif, le coup de foudre pour le père de Navo puis son chagrin d’amour. Elle restera, pour moi, à vie l’incarnation de la générosité. Derrière Navo et son frère se cache une maman magique au sourire d’enfant qui vous faisait croire en l’adage « tout finit par s’arranger »
Bref (WINK), j’ai arrêté la fac pour trouver un travail pour qu’on prenne un appart, il a arrêté l’oisiveté pour trouver un travail pour qu’on prenne un appart. Notre amour était immature, mais sincère. On s’engueulait pour rien : il me faisait la misère parce que je fumais et était plutôt jaloux, je lui faisais la misère pour qu’il passe moins de temps sur « internet » et je pleurais dès qu’il ne me regardait pas. Il m’écrivait des lettres, des chansons. À force de s’écrire, on a inventé un langage codé, très joli, pour communiquer.
On passait des nuits blanches à binger des séries, écouter les Wriggles, mais surtout Tété qui est devenu le chanteur officiel de notre couple.
J’ai arrêté de fumer. On a trouvé un appart aussi pourri que notre dossier, on n’avait pas de thunes (nous ne sommes jamais partis en vacances en 4 ans :)), mais on arrivait à se faire plaisir. La vie était simple, ponctuée d’embrouilles. On refaisait le monde tout le temps, on décortiquait le comportement de nos parents, on psychanalysait nos amis, les voisins et les inconnus croisés. Entre nous, on s’appelait “Nounou” comme dans les Animaniacs. 15 ans plus tard c’est toujours le cas.
En parallèle de son taf boring dans le notariat, Navo a commencé à écrire pour Kheiron (Jamel comedy club saison 2). On a traîné dans toutes les scènes ouvertes de Paris de l’époque (2 ou 3 max). Il a lancé « La bande pas dessinée », moi le « blog de Navie ». On a organisé une super fête de fiançailles dans le jardin en bordel de son père antiquaire avec des vérines qu’on avait passé l’après-midi à préparer en famille.
Un jour il m’a parlé d’enfant. En l’air, juste comme ça, mais je m’en souviens hyper bien parce qu’il y a eu un immense NON dans ma tête (tête qui hochait en souriant face à lui). Plus on sortait, plus on rencontrait de gens, plus je revenais à Paris, plus je m’éloignais de lui. Je le soutenais, je passais des heures à lire ses textes à les challenger, il me poussait à écrire plus. Nous étions à la fois moteur et ralentisseur.
J’ai alors fait, ce que je savais faire comme personne à l’époque : fuir. Je prenais le scooter, je rejoignais ma nouvelle copine Claire, on fumait des clopes (et je disais que c’était à cause des autres que je sentais la cigarette.) Je lui cachais mes attirances, je lui cachais mon angoisse de couple fusionnel, je lui cachais que son amitié me manquait plus que son corps et nous avons passé des mois difficiles. Plus je voulais échapper à « c’est la meuf de Navo » plus il me demandait une présence et un engagement total. Il était tout le temps en colère et jaloux de ce nouveau cercle que je me créais, sans lui… et à raison.
Un jour, je suis tombée du haut de la tour qu’il avait construite à mon endroit. J’avais rencontré quelqu’un, et il l’a découvert. Je n’étais pas celle qu’il croyait, je n’étais pas sa femme pour la vie, sa chérie, mais une menteuse.
Le choc a été très violent pour lui. Il a sombré dans un gouffre qui a failli l’engloutir pour de bon quand moi je redécouvrais la tendresse d’un autre homme, celui qui deviendrait le père de Lulu.
Nous aurions pu nous arrêter là, être moins proches, ne plus nous voir, nous dire au revoir et à jamais. C’était avant qu’il monte les marches de Cannes avec Hazanavicius ou qu’il fasse la couv' de Télérama avec Kyan, bref, qu’il devienne le Navo de tout le monde.
Mais la suite, entre nous, a scellé un pacte d’amour éternel. Je ne n’ai pas décidé que Francis Cabrel était mon père spirituel pour rien.
« Quand j’aime une fois j’aime pour toujours, quand j’aime une fois j’aime pour toujours ».
Vous connaître depuis la bpd et ton blog, c'est comme avoir l'impression de faire partie de l'histoire ❤️ je suis au taquet sur la suite des récits de vos souvenirs !