Il y a deux ans, j’ai regardé mon mari en fronçant les sourcils et j’ai annoncé « je te préviens, j’en peux plus, ça suffit comme ça, c’est pas Dieu possible, non, mais on va où là ?! C’est terminé, l’an prochain, on part en week-end plus souvent ».
Il a levé les yeux de Hearthstone et m’a répondu « bien sûr mon cœur ». J’ai refermé la porte des toilettes qu’il occupait depuis déjà quelques jours (je perds parfois la notion du temps) et j’ai arrêté de froncer les sourcils. Vraiment, communiquer c’est très bien pour la peau.
Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, que je souffre d’une appendicite, que Lucien ait la gastro, Nino la lèpre ou Renaud une maîtresse… on partirait en week-end, tous ensemble. Et parce que je suis une mère sympa, et qu’il restait une place dans le logement, j’ai embarqué aussi le BFF de Lulu pour l’unique endroit qui correspondait à mes critères : le Capfun de la Grenouillère à Suèvres (41).
78 km de Paris, sécurisé pour que les enfants puissent circuler sans laisse, ouvert aux animaux, abordable et débordant d’infrastructures pour les 10 ans et 2 ans.
La veille du départ, je me suis souvenue de la raison pour laquelle on partait si peu en week-end. Putain, mais que c’est épuisant de partir. Surtout en camping. Les draps, les draps-housses, le sel, la serviette de piscine et de toilette, l’huile d’olive, les couches, les livres, les doudous, les pâtes, le sac du chien, le sac des gosses, notre sac, le sac de provisions. Il y a des gens bons en départ. Nous sommes les autres.
— « J’ai hâte qu’ils soient tous couchés »
— « Haha, c’est marrant de dire ça alors qu’il n’est que 9 h 30. On prend le Don Papa ? »
Devez-vous subir les détails d’un faux départ, d’un coffre électrique qui ne se ferme plus, du BFF de Lulu malade en voiture qui, s’il ne respire pas par la fenêtre en roulant, est malade ? Dois-je vous raconter le chien qui halète, Nino qui veut écouter Tarzan en boucle (dou mound oune sol fami) (= deux mondes une seule famille) (Qui comprend Phil Collins quand il chante en Français ?) ?
Je vous épargne le récit détaillé de ce trajet qui au final s’est déroulé comme celui d’une famille normale.
Arrivé au camping, le chien hystérique veut sortir. Les enfants hystériques veulent sortir. Mon mec respire dans un sac de papier kraft en voyant la marmaille encerclée par tous les dangers (des voitures, des inconnus) (heureusement les terrifiantes mascottes du camping étaient en RTT). De mon côté je choisis lâchement l’option « je vais chercher les clés à la réception SEULE ».
Trois jours et demi, durant lesquels il va falloir étendre les serviettes, faire les courses, faire à manger, débarrasser, empêcher le chien de s’enfuir en ouvrant la porte de notre petit porche, empêcher tout le monde de se noyer, ranger et laver (la caution)… Et soudain, noyée dans les « il faut », j’ai été submergée de bonheur. Alors que j’étais en jour deux de règles infernales, j’ai eu conscience de la chance immense que j’avais et j’ai lâché prise.
Il y a eu un petit déjeuner tardif au son de « Celebration » de Cool and The Gang, sur la petite enceinte. Sans se concerter, on a tous les cinq chanté et dodeliné en même temps. Il y a eu les centaines de pâquerettes cueillies par Nino pour « Maman -mon-amour », ce câlin de Lucien dans la piscine, comme un grand bébé, mais pas trop quand même, mais quand même un peu. Ces câlins qui disent « je m’éloigne un peu physiquement pour grandir, mais je serais toujours ton petit garçon. » Il y a eu le BFF de Lulu qui nous a fait la surprise de dresser la table du petit-déj, la caresse de Renaud sur mes reins, quand il a senti que j’étais seule dans mon maillot deux-pièces face aux regards pas toujours amicaux (les gens sont souvent jaloux de mes cheveux.).
Alors ? Que retiendrons-nous, plus tard, quand 40 ans ce sera quand j’étais jeune ? À quoi penserais-je dans des années, quand quelqu’un parlera de « Grenouillère » ou de « camping » ?
Penserais-je en regardant mon petit Nino, devenu un homme, peut-être même papa, à sa couche qui nous a lâchés au beau milieu de la piscine ? Me souviendrais-je de la honte que j’ai ressentie quand j’ai identifié son caca flottant dans le toboggan (j’aurais aimé qu’on me photographie au moment où j’ai vu des petits morceaux de peaux de tomates flotter autour de Nino, ravi) ? Oublierais-je nos heures de conversation avec Renaud pendant que les grands ponçaient la piscine et le petit dormait épuisé de toutes ces aventures ?
En matière de verre plein ou vide, on a tous le choix. En ce moment, mon écart est radical. Côté pile, je peux vous raconter ce grand tremblement qui me chahute depuis quelques mois, mes séances d’EMDR, ma psy qui me sauve de ce passé qui m’englue et tente de me noyer. Les litres de larmes, les vérités qui font peur quand les souvenirs se précisent.
Côté face, ma bulle d’amour (et d’excrément aussi) qui me fait respirer fort, aimer au-delà du concevable et rends mon quotidien, plus passionnant qu’une vie de backpacker.
Nous sommes rentrés dimanche en fin de journée, nous avons enduré deux heures de bouchons et je jure avoir entendu Elvis entre deux râles, dire « niquez-vous avec mes ponts de mai. » Phil Collins chantait dans son dialecte, Renaud trouvait le temps long (toutes les deux secondes), BFF avait la moitié de son corps en dehors de la voiture, Lucien avait oublié de faire un de ses devoirs (oups).
C’était parfait.
Ps : Nous n’avons pas touché au Don Papa. Avant on se finissait au rhum avec mon mec. Maintenant, on en met deux bouchons dans la pâte à crêpe du dimanche.
C'est tellement ça... Si bien écrit, bravo 👏
J'adore les récits de famille, surtout quand c'est bien raconté, c'est de l'hyper-romantisme pour moi :) peut être pour ça que mon préféré de la trilogie c'est Before Midnight!